Transmission, exposition et prise en charge : en pratique pour les professionnels de santé

En octobre 2023 et pour la première fois en France, le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC) a été détecté dans des tiques de l’espèce Hyalomma marginatum collectées sur des bovins dans les Pyrénées-Orientales et en Corse.
La FHCC est une infection causée par un virus qui peut provoquer chez l’humain de la fièvre, des frissons, des troubles digestifs et, dans de rares cas, une maladie hémorragique avec des saignements incontrôlés.

Résumé

Le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC) se transmet par piqûre de tiques du genre Hyalomma (incubation de 1 à 3 jours en moyenne, 9 jours au maximum), entre fin mars et août ou par contact direct avec des fluides corporels d’animaux ou d’humains infectés. Il a été détecté en octobre 2023 dans des tiques de l’espèce Hyalomma marginatum collectées sur des bovins dans le sud de la France. Aucun cas humain autochtone n’a été diagnostiqué sur le territoire à ce jour.

Dans 80 % des cas, l’infection est asymptomatique ou pauci-symptomatique. Les formes symptomatiques évoluent classiquement en trois phases : une phase pré-hémorragique : (entre 1 et 7 jours) avec des symptômes peu spécifiques avec fièvre d’apparition brutale, une phase hémorragique (épistaxis, hématémèse, méléna, ecchymoses…) habituellement d’une durée de 2 à 3 jours pouvant s’étendre à 2 semaines et une phase de convalescence débutant classiquement au cours de la deuxième semaine d’évolution. En cas de forme symptomatique, la mortalité varie de 5 % à 30 % selon les études.

Tout cas suspect doit conduire le médecin en charge du patient à prendre contact avec un infectiologue référent et à faire un signalement à l’ARS.

La prévention des infections repose sur : la prévention des piqûres de tiques, le respect des bonnes pratiques d’hygiène notamment lors d’une manipulation exposant au sang d’un animal et le respect des bonnes pratiques de soins et d’hygiène par les professionnels de santé.

Par ailleurs, dans le cadre de la lutte contre le virus de la FHCC, le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités est en lien étroit avec le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, et le ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires ainsi que des agences Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail pour coordonner les actions de prévention dans une approche « une seule santé » qui prend en compte les liens entre la santé humaine, animale et environnementale.

Contexte

Le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC) est classée dans les fièvres hémorragiques virales (FHV). Le virus de la FHCC a été détecté en octobre 2023 dans des tiques de l’espèce Hyalomma marginatum collectées sur des bovins élevés dans les Pyrénées-Orientales puis dans les mêmes tiques collectées sur des bovins en abattoirs en Corse. Ce sont les premières détections de ce virus en France. Aucun cas humain autochtone n’a été diagnostiqué sur le territoire français à ce jour. En Europe, des premiers cas humains sporadiques ont été rapportés depuis le milieu des années 1950 en Bulgarie, en Grèce en 2018 et en Espagne depuis 2013. Un dernier cas humain de FHCC a été récemment détecté le 27 avril 2024 dans la région de Castilla et Leon en Espagne. Le cas est décédé le 1er mai 2024.

Il existe de nombreux genres et espèces de tiques (cf. Annexe 7 du rapport du HCSP de février 2024, dont le lien figure en dernière page). Les tiques de l’espèce Hyalomma marginatum sont présentes depuis plusieurs décennies en Corse et depuis une dizaine d’années sur le littoral méditerranéen avec une préférence pour les milieux ouverts de type maquis ou garrigue. On les retrouve actuellement installées dans plusieurs départements du pourtour méditerranéen, des Pyrénées-Orientales au Var, mais aussi plus au nord, dans la partie méridionale de l’Ardèche et dans la Drôme. Leurs aires de répartition sont en expansion, en raison notamment des changements climatiques.

Carte de présence de la tique Hyalomma marginatum en France
Carte de présence de la tique Hyalomma marginatum en France

Ces tiques, pouvant atteindre 8 mm au stade adulte et jusqu’à 2 cm lorsqu’elles sont gorgées, et ses pattes sont rayées. Elles sont vectrices notamment du virus de la FHCC.

Image de Hyalomma marginatum (crédit Adam Cuerden)
Image de Hyalomma marginatum (crédit Adam Cuerden)

Expositions, voies de transmission

Le virus de la FHCC se transmet selon 2 modes :

  • par piqûre de tiques du genre Hyalomma. Seules les tiques adultes à jeun (non gorgées) piquent l’homme, durant leur période d’activité, entre fin mars et août, avec un pic d’activité en avril-mai-juin. Les personnes les plus à risque sont notamment les agriculteurs, les professionnels de la nature, les chasseurs, les randonneurs ou les scouts pendant cette période ;
  • par contact direct avec des fluides corporels d’animaux ou d’humains infectés (chasse, élevage, abattoir, milieu de soin) lorsqu’ils sont virémiques.

Les formes adultes piquent les grands mammifères (bovins, petits ruminants, cervidés…) entre fin mars et août. Les formes immatures piquent les petits mammifères (notamment lièvres et lapins) et les oiseaux (qui dans leur grande majorité s’avèrent réfractaires à l’infection) de début juillet à octobre. Chez les animaux, la maladie est quasi-systématiquement asymptomatique et la virémie relativement courte (une dizaine de jours).

Le virus de la FHCC est un virus à ARN, peu résistant dans l’environnement. Il n’y a pas de transmission aérienne. La consommation de viande d’animaux virémiques ou de produits laitiers n’a jamais été rapportée comme étant à risque de transmission virale.

Le risque est donc présent principalement au printemps et au début de l’été pour les piqûres de tique, et secondairement à la même période pour les personnes exposées au sang de grands mammifères virémiques (bovidés, équidés, cervidés, …), ou en automne pour les personnes en contact avec le sang des petits mammifères sauvages virémiques (représentés essentiellement par les lapins et les lièvres).

Le risque de transmission nosocomiale est quant à lui possible à ces périodes par contact avec tout fluide biologique d’un patient infecté.

Aspects cliniques, biologiques et pronostiques chez l’être humain

L’incubation est variable selon le mode de transmission : de 1 à 3 jours en moyenne (maximum 9 jours) après piqûre de tique et de 5 à 6 jours (maximum 14 jours) après exposition à des liquides biologiques. La présentation clinique est variable. Dans 80 % des cas, l’infection est asymptomatique ou pauci-symptomatique et il semble que les formes de l’enfant soient d’une gravité moindre que celles des adultes. Les formes symptomatiques évoluent classiquement en trois phases :

  • Phase pré-hémorragique : qui peut durer entre 1 et 7 jours (en moyenne 2 à 4 jours) : symptômes peu spécifiques avec fièvre d’apparition brutale, syndrome pseudo-grippal et céphalées. Des signes digestifs à type de nausées, vomissements ou diarrhées sont présents dans la moitié des cas. De façon plus rare, sont notées hépatomégalie, splénomégalie, polyadénopathies.
  • Phase hémorragique : habituellement d’une durée de 2 à 3 jours pouvant s’étendre à 2 semaines. Les signes hémorragiques sont classiques (épistaxis, hématémèse, méléna…). Les ecchymoses cutanées ou muqueuses sont plus importantes dans la FHCC que dans les autres fièvres hémorragiques virales. Cette phase hémorragique peut se compliquer de troubles neurologiques, de défaillance multiviscérale et de choc dans le cadre d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).
    Sur le plan biologique, une thrombopénie est fréquente, tout comme une leuconeutropénie ou une cytolyse hépatique. Les marqueurs de l’inflammation sont élevés. Des troubles de la coagulation précoces (diminution du TP, du fibrinogène, allongement du TCA) sont possibles.
  • Phase de convalescence : elle débute classiquement au cours de la deuxième semaine d’évolution. Si elle est marquée par une amélioration de l’ensemble des paramètres, cette phase peut s’accompagner de troubles du rythme cardiaque, de polynévrites, de troubles sensoriels (troubles de la vue ou de l’audition) et de troubles de la mémoire.

En cas de forme symptomatique, la mortalité varie de 5 % à 30 % selon les études.

Définition d’un cas de suspect

Le diagnostic d’une contamination au virus FHCC doit être envisagé face à un patient présentant l’un des signes cliniques rappelés précédemment et une exposition compatible :

  • Exposition à une piqûre de tique dans les 9 jours précédant l’apparition des symptômes dans une zone à risque de transmission entre mars et septembre ;
  • Exposition à un animal potentiellement porteur (lapins et lièvres, cervidés, bovins, chevaux), c’est-à-dire un contact avec un liquide biologique sur muqueuse ou peau lésée, dans les 14 jours précédant l’apparition des symptômes ;
  • Exposition à un patient, cas confirmé de FHCC.

Prise en charge d’un cas suspect et signalement

Tout cas suspect :

  • doit conduire le médecin en charge du patient à prendre contact avec l’infectiologue référent de l’ESR régional et le CNR des fièvres hémorragiques virales si besoin en vue de valider le classement du cas suspect en cas possible et d’orienter sa prise en charge ;
  • doit conduire à un signalement à l’ARS, sans délai et par tous moyens, FHCC étant une maladie à déclaration obligatoire au titre des fièvres hémorragiques virales.

Mesures de précaution face à un cas suspect

Pour le patient  : hygiène des mains par friction hydro-alcoolique, masque chirurgical ;

Pour le professionnel au contact du patient : hygiène des mains, masque chirurgical ou FFP2, lunettes de protection, gants non stériles à usage unique, blouse de protection imperméable ;

Gestion des déchets dans le circuit DASRI. Les déchets générés doivent être séquestrés jusqu’à infirmation ou confirmation du diagnostic.

Désinfection des sols et des matériels : bio nettoyage standard.

Pour plus d’informations, une fiche FHV actualisée en juin 2023 et une fiche FHCC plus spécifique rédigée en novembre 2023 ont été élaborées par la COREB pour les soignants de 1ère ligne.

Les mesures de prévention

Il n’existe aucun vaccin homologué contre la FHCC, ni pour l’homme, ni pour l’animal, et la prévention des infections repose sur :

  • la prévention des piqûres de tiques*
  • le respect des bonnes pratiques d’hygiène notamment lors d’une manipulation exposant au sang d’un animal, ou lors de la manipulation de ses tiques, pour les professionnels concernés (éleveurs, chasseurs, vétérinaires, personnels en abattoir…) ;
  • le respect des bonnes pratiques de soins et d’hygiène par les professionnels de santé (précautions standards et spécifiques pour les risques épidémiques et biologiques tels que la FHCC).

* Comment se protéger des tiques :
Il est recommandé d’adopter certaines mesures au printemps et en été, dans les lieux où la tique Hyalomma marginatum est installée :

  • Porter des vêtements couvrant les jambes et les bras, de couleur claire pour mieux voir la tique ;
  • Porter des chaussures fermées ;
  • Inspecter régulièrement son corps et celui des enfants lors des activités dans les zones où la tique peut être présente tout au long de l’activité ;
  • Avoir sur soi un tire-tique ou une pince fine lors de ces activités pour retirer la tique rapidement si elle vous pique.

Les répulsifs cutanés avec autorisation de mise sur le marché (AMM) ont une efficacité limitée. Leur utilisation ne doit pas se substituer aux mesures de prévention ci-dessus, et doit respecter les préconisations d’usage (pour les répulsifs, consulter lesrecommandations sanitaires pour les voyageurs).

* Que faire en cas de piqûre par une tique (Hyalomma marginatum ou une autre tique) ?

Dans une zone où Hyalomma marginatum peut être présente :

  • Retirez-la avec un tire-tique ou une pince fine. Si vous n’avez pas ces outils sur vous, n’attendez pas et retirez-la avec les doigts en la prenant au plus près de la peau, si possible en vous protégeant les doigts (avec un gant, un mouchoir…)
  • Désinfectez le point de piqûre après le retrait de la tique avec un désinfectant ou avec de l’eau et du savon si vous n’en avez pas et lavez-vous les mains ;
  • Photographiez la tique si vous le pouvez ;
  • Dans les 14 jours après la piqûre : si vous ressentez brutalement l’un des symptômes suivants :
  1. de la fièvre ;
  2. des maux de tête ;
  3. des douleurs dans les muscles ou les articulations ;
  4. ou d’autres symptômes.

Consultez un médecin en disant que vous avez été piqué par une tique lors de la consultation (et en lui montrant la tique qui vous a piqué si vous l’avez prise en photo).

  • Dans les 30 jours suivants, d’autres symptômes peuvent apparaître, liés à d’autres maladies transmises par les tiques, parlez-en à votre médecin.

Il est recommandé de faire le signalement de la piqure sur Citique via l’application Signalement Tique sur téléphone ou sur le site internet afin de participer à l’avancée des données scientifiques sur les tiques et les maladies qu’elles peuvent transmettre.

Pour en savoir plus

Pilotée à l’échelle internationale par une Alliance Quadripartite composée de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), l’approche « Une seule santé » vise à optimiser, de façon intégrée et unificatrice, la santé des personnes, des animaux, des végétaux et des écosystèmes, et à trouver un équilibre entre ces dimensions. Elle utilise notamment les liens étroits et interdépendances qui existent entre ces domaines pour créer de nouvelles méthodes de surveillance des maladies et de lutte contre celles-ci.

En tenant compte des liens entre la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale, l’approche « Une seule santé » est envisagée comme un facteur de transformation contribuant à améliorer la santé dans le monde.

Pour en savoir plus : Organisation mondiale de la santé – Une seule santé